Gilbert Durand- décédé à 91 ans le 06 décembre 2012 - Un guide pour une nouvelle civilisation.
En ce temps de communication généralisée, on ne brûle plus les Cathares et les Giordano Bruno, pour faire taire les voix impies. Bien sûr nous sommes aussi des trublions. Il suffit, pour ceux qui ont pignon sur rue, d’ignorer les voix discordantes pour qu’on ne puisse les entendre et pour que les moutons demeurent des moutons. Plus hypocrite, si on ne peut faire comme si, est de louer l’excellence facture du message pour mieux faire silence sur sa réelle signification. A quelques exceptions près, les commentaires des médias, suite au décès du sociologue Gilbert Durand, ne dérogent pas à la règle. Tous ne sont heureusement pas du même tonneau. Si les rares journaux qui lui ont rendu hommage reconnaissent la nouveauté de son anthropologie, peu ont souligné sa position en marge concernant la civilisation comme l’a fait le blog Idiocratie : « C’est un résistant à la barbarie doublé d’un chercheur infatigable qui s’en est allé dans le silence glacé de l’époque. Car il y a une chose que l’on ne pardonne pas en France, celle de ne pas ânonner la petite musique du bonheur tranquille, celle de ne pas siffloter le petit chant des gens satisfaits. En effet, Gilbert Durand a eu le tort d’exprimer sa pensée, qui n’était autre qu’une mise en garde, contre la marche aberrante de la société moderne ». Rares sont ceux qui ont cité son ouvrage le plus significatif « Science de l’Homme et tradition » que nous verrons plus loin.
Empruntons les sandales ailées d’Hermès et parcourons les champs des savoirs ouverts par cet homme remarquable que fut Gilbert Durand. Après lui, on remplacera le: Il était une fois… par : nous avons foi dans la Figure de l’Homme ». Ce petit poucet de haute volée, sa vie durant défia ceux qui nous offrent le spectacle de l’insignifiance et du consumérisme comme seuls points de repère et qui écrivait en 1979 « quand grouille, dans les sacristies de nos totalitaires idéologies, la cohorte des sous-diacres et des chaisières de l’opinion… ». Très discret touchant sa vie privée et ses convictions politiques et confessionnelles, c’est à sa présence citoyenne, à ses titres et ses œuvres qu’il nous est loisible d’en esquisser le profil. Dès 1940 il est un des premiers résistants au Nazisme durant la guerre mondiale, il s’engage dans les Forces françaises libres (FFL) et devient chef départemental du réseau Gallia Katanga et responsable du 5ème bureau de l’Armée Secrète. Résistant dans le Vercors, il est arrêté par la Gestapo en 1943, il reste huit mois emprisonné avant d’être libéré par les Francs tireurs et partisans (FTP)
le 24 août 1944. En 2000, il a reçu le titre de « Juste parmi les nations », la plus haute distinction décernée par Israël à ceux qui ont sauvé au péril de leur vie des juifs pendant la guerre. En 2007, le grand résistant Raymond Aubrac lui avait remis la cravate de commandeur de la Légion d’honneur pour ses actions dans la Résistance. Gilbert Durand était membre d'honneur de la Société des Auteurs Savoyards. Il vivait à la fin de sa vie en Haute-Savoie.
Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Gilbert Durand fut professeur de philosophie, de sociologie et d’anthropologie à Grenoble II. Il avait co-fondé en 1966 le Centre de recherche sur l’imaginaire. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages et de centaines d’articles. Disciple du philosophe Gaston Bachelard, de l’islamologue Henry Corbin et de Carl Gustav Jung, il est co-fondateur en 1966 du Centre de recherche sur l’imaginaire (CRI) à l’Université de Grenoble, qui sera noyau d’un réseau international de plus de quatre-vingt laboratoires, fédérés en France par la revue Esprit critique CNAM Angers – Pays de la Loire. L’étude de l’Imaginaire deviendra objet d’un DEA (Diplôme d études approfondies). Gilbert Durand apportera à cette fonction première de l’homo-sapiens ses lettres de noblesse et contredira les assertions dévalorisantes de l’imaginaire de Sartre et de Lacan. Les Structures anthropologiques de l'imaginaire(Dunod) - L'Imagination symbolique (PUF) – L'Imaginaire (Hatier) - L'Âme tigrée, (Denoël).
Lié à l’Imaginaire, le Mythe avec Gilbert Durand devient répondant du social : « Le plus grand mythe est de croire qu’on n’est pas dans un mythe ». La prise en compte ou non de cette maxime arbitrera le futur. Soit c’est OUI et toutes les vieilles raisons et causalités sociales seront à revoir, soit c’est NON et on ferme toute possibilité de prospectives. Bibliographie : Le Décor mythique de la Chartreuse de Parme (José)- Figures mythiques et visages de l’œuvre. De la mythocritique à la mythanalyse (Berg International) –
Attardons-nous un instant sur ces « Les Structures anthropologiques de l'imaginaire ». Elles ont suscité un grand intérêt chez les anthropologues du monde entier. Ce livre apporte une grille compréhensive aux comportements individuels et collectifs des hommes en société. C’est à l’école de Leningrad et à partir de la réflexologie betcherevienne que Gilbert Durand emprunte le principe de sa « Classification isotopique des images ». En bref : Les Régimes (Diurne et Nocturne) ; Les Structures Héroïques (diurnes) - [Dramatiques/synthétiques - Mystiques (nocturnes)] ; Les réflexes (dominante Posturale – dominante Copulative - dominante Digestive) ; les Schèmes verbaux (distinguer – relier – confondre) ; les Symboles (multiples et respectifs aux Schèmes).
Maintenant passons à cet ouvrage majeur « Science de l’Homme et Tradition » qui lui vaudra l’ostracisme généralisée des ‘’Chiens de garde de la pensée en quarantaine’’. Il se réfère à la Tradition hermétique ou hermésienne – à ne pas confondre avec traditionalisme qui est d’essence réactionnaire- qui, de l’Hermès trismégiste à Paracelse irrigue souterrainement la pensée occidentale. «…Mais la Tradition, est-ce autre chose que la renaissance dans les contextes historico-culturels les plus divers, des mêmes principes originaires, archétypes permanents et atemporels qui définissent l’anthropos ? J.P. Sironneau ». Gilbert Durand, parmi les multiples thèmes centrés sur la philosophie pérenne de la Tradition que son livre comporte, ouvre le procès des -ismes sur lesquels s’est construit notre civilisation : positivisme, historicisme, réductionnisme. Là gît la défiguration de l’Occident et ce sera l’immense mérite de Gilbert Durand, avec ses travaux sur l’imaginaire, d’avoir dégagé les antinomies entre le rationalisme réducteur et une anthropologie qui assume l’entièreté de l’homo sapiens. La Raison sous sa forme d’adaptation objective à un univers séparé de l’homme et de soumission positifve aux faits, aligne irréversiblement la conscience puis la spiritualité sur la machine. Les dualismes issues de l’aristotélisme et de ses épigones Galilée et Descartes coupent entre monde sacré/monde profane - corps/âme - res extensa/res cogitans. A l’encontre de ce réductionnisme, la Tradition ne veut distinguer l’homme du monde, le « je pense » des choses pensées; elle a une conception unitaire du cosmos. Pour la culture occidentale, passible de le métaphysique grecque de l’être et du judéo-christianisme le postulat de l’unité se trouve du coté de la personne qui unifie sur le modèle du cogito cartésien. La pensée traditionnelle ne coupe pas entre multiple et un : c’est l’unité repérée dans le monde qui se réverbère dans un moi ressenti comme divers. Le livre « Science de l’homme et Tradition » nous place devant le choix : conservatisme ou changement.
Tranche de vie – C’est en 1963 que Gilbert Durand fut introduit au Cercle d’Eranos dans le Tessin Suisse, à Ascona par Henry Corbin, titulaire alors de la Chaire d’islamologie au Collège de France. Il y côtoiera des personnes de grande qualité comme Mircea Eliade, la jungienne Marie-Louise von Franz, la romancière Kathleen Raine … C’est peut-être là qu’Henry Corbin l’initia à cet entre-deux du Corps et de l’Esprit, le Monde imaginal, ce lieu où les Corps se spiritualisent et les Esprits se corporalisent, approche heuristique appréciable sans doute pour le monde non-séparable de la Tradition. Eranos est une propriété privée qui va prendre place dans l'histoire culturelle du 20ème siècle. Elle va inspirer les rencontres, exposés, débats, réflexions et recherches d'esprit éminents et favorisera la diffusion de leurs idées jusqu'à leur conférer un extraordinaire retentissement dans les sciences humaines." Ces rencontres ont permis de réunir des personnalités de grande envergure tels Carl Gustav Jung, Henri Corbin, Charles Kerényi, Mircea Eliade et bien d'autres... sans oublier des jungiens comme Erich Neumman et James Hillman
Tranche de vie – Le Colloque de Cordoue « Science et Conscience – Les deux lectures de l’univers ». Ce colloque et les suivants poursuivis dans d’autres régions du monde n’auraient sans doute pas vu le jour sans le saisissement d’un jeune étudiant découvrant cet auteur du nom de Gilbert Durand. Cette rencontre fut pour lui une eau de Jouvence qui donnait sens à sa vie. Il ne l’a pas dit avec ces mots, mais dans mon souvenir, çà ressemblait à çà. Il s’appelle Michel Cazenave lequel durant des années a animé l’émission « Les Vivants et les Dieux » de France-Culture. Quand je dis « animé » je pense à cette élégance qu’il avait, rarissime chez les journalistes, de laisser et faire parler ses invités sans se mettre en vedette. ll fut l’artisan du Colloque de Cordoue et Gilbert Durand l’en remerciera. Yves Jaigu, le Directeur de France-Culture prononça le discours d’ouverture ayant pour titre Le lieu de la liberté. Il fit le récit de la rencontre à Cordoue entre le maître aristotélicien Averroès (Ibn Roshd) et le jeune homme qui devait être appelé ‘’fils de Platon’’et connu sous le nom d’Ibn Arabi. La communion intellectuelle échouera, chacun portant un monde trop différent, Averroès le Croyant philosophe celui de la rationalité aristotélicienne et celui d’ Ibn Arabi qui sait que la sagesse ne s’obtient ni par l’effort de la philosophie purement rationnelle ni par le ralliement à ce que son lexique désignera comme « un Dieu créé dans les dogmes ». Cette rencontre au 12ème siècle à Cordoue, est pour Henry Corbin le symbole de la grande catastrophe métaphysique en occident qui va permettre à la physique d’Aristote de s’imposer comme connaissance pré-scientifique d’un monde des res (choses) coupé du monde des voces (l’âme). Et Yves Jaigu termine son discours … « Le sujet et le choix de Cordoue relève d’une seule et même question : ce qui a été dénoué à Cordoue aux environs de l’an 1200, peut-il être renoué à Cordoue en 1979 ? ».Le colloque a rassemblé vingt-cinq personnalités éminentes venues du monde entier, des sciences physiques, neuro et psychophysiologie, psychologie analytique, philosophie et sciences religieuses. Gilbert durand fit une conférence « Orphée et Iris 80 : l’exploration de l’imaginaire ». M.E
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