Pour considérer l’Homme sans le réduire ni le mutiler, il s'agit avant tout de connaître et prendre conscience de ce que Gilbert Durand (dans le chapitre 1 de "Science de l'homme et tradition") nomme "la figure traditionnelle" de l'homme, organisée autour de 6 caractères :
Le 1er caractère - La figure de l'homme ne distingue, ne veut pas distinguer le moi du non-moi, le monde de l'homme. A contrario, toute la pédagogie de la civilisation occidentale s'évertue à couper le monde de l'homme. C'est la grande structure "schizomorphe", de l'être divisé, lequel est toujours lié au totalitarisme et à l'intolérance d'une idéologie moniste et monopolisante. Il en va autrement de la pensée traditionnelle : la figure de l'homme n'y est jamais coupée de l'univers. L'homme ne dresse pas sa démoniaque image en face du monde des astres, de la faune et de la flore, de son propre corps, comme un être singulier, éthéré en quelque sorte.
Le 2ème caractère - La connaissance de l'homme est une, sa conscience est systématisée, il a une conception unitaire du cosmos. Au contraire, le savoir occidental se fragmente en une multitude de disciplines qui l'éloigne d'une vision cohérente de l'homme et de ses rapports avec l'univers. L'alchimie d'abord, la psychologie des profondeurs (Jung), l'écologie, témoignent de ce caractère "unifiant" de la connaissance.
Le 3ème caractère : L'affirmation de la pluralité du moi. Pour la culture occidentale, le postulat de l'unité se trouve du côté de la personne face à la pluralité désespérante du monde. C'est l'unité du JE PENSE, du MOI, de la PERSONNE. La pensée traditionnelle ne réduit pas l'homme à une simple dualitude, corps et intellect, sensible et intelligible. Elle affirme l'existence d'une instance intermédiaire, âme, coeur, ange personnel, qui est le principe d'unicité dans l'homme. Dès lors, la pluralité ressentie en la psyché s'unifie, parce qu'elle s'éprouve comme un ordre comparable à l'ordre du cosmos tout entier.
Le 4ème caractère : La pensée traditionnelle leste les choses d'un sens, de qualités cachées, que seule une pensée indirecte, symbolique, peut révéler. Au contraire, la philosophie classique tend à considérer l'espace, le temps, la causalité comme des catégories vides. Elle unifie le monde à partir d'un cogito (je pense donc je suis) non moins vide. Elle instaure le règne de la quantité. Notre science ne connaît que des problèmes, la science traditionnelle révèle des secrets. Pour cette dernière, l'espace et le temps ne sont jamais vides, ils sont espace vécu et temps vécu, constitués par la vie et ''orientés'' par l'esprit.
Le 5éme caractère - L'homme traditionnel est un homme apaisé. L'effort pour l'homme traditionnel est de passer du stade égocentrique où la flèche du sens va du monde vers le moi au stade où ce sens s'inverse du moi vers le monde. Dans cette effort l'homme gagne son humanité, se spiritualise. L'homme moderne au contraire est inquiet, déchiré, il cherche continuellement à se délivrer d'un moi vide par la volonté de puissance, par la maîtrise technicienne de la nature, bref par la possession du monde et de ses semblables.
Le 6ème caractère - La vie, pour l'homme de la tradition est comme un retour. Le "chacun pour soi" de l'homme occidental, son individualisme le coupe non seulement des autres, du monde, mais aussi de toute raison qui l'exède, de toute transcendance. Il est comme en exil dans sa solitude. Le désir de l'homme traditionnel est de retourner à sa vraie demeure. C'est le mythe de la terre promise. La quête du Graal. Le Graal qui est alors ce désir même, ce côtoiement paradoxal de l'homme séparé dans l'unité retrouvée.
Avant de présenter la figure traditionnelle de l'homme, Gilbert Durand a évidemment suffisamment fait la critique des objectivisme, rationalisme, historicisme, réductionnisme...
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