Contribution sous forme de poster au colloque :
"Biodiversité, Naturalité, Humanité, inspirer la gestion des forêts",
Chambéry, 27 au 31 octobre 2008
Patrick Pappola
En matière de "naturalité", les réticences de certains de nos contemporains semblent si profondément ancrées en eux que l'on peut parler ici d'anthropologie. Les travaux de l'anthropologue Gilbert Durand (1960, 1975) peuvent aider à comprendre ces blocages, son œuvre apporte même un réel espoir de réconciliation entre l’Homme et la Nature.
Comprendre l'humain ... mais l'humain tout entier
Pour comprendre l'humain, il s'agit ni plus ni moins que de le considérer enfin dans sa globalité et sa complexité. C’est dans la Tradition (1) de l’occident, au sens des hermétistes du XVIIIème siècle (Hermès ; la non séparation de l’Homme et de l’univers pensé) que puise notre anthropologue pour mettre en cohérence et prolonger les acquis parmi les plus pointus de la pensée contemporaine et finir par fonder rien de moins qu'une " nouvelle anthropologie" (Durand 1960, 1975).
L'humain "non mutilé" est porteur d'espoir
L'humain "non mutilé" est porteur d'espoir. Les travaux de Gilbert Durand sur la figure traditionnelle de l'Homme tendent à prouver que l'occident contemporain possède en lui les capacités "anthropologiques" de devenir ou redevenir un « peuple accordé à la nature » comme l'écrivait si justement François Terrasson.
Connaitre la figure Traditionnelle de l'Homme :
Ainsi, Gilbert Durand, grand pourfendeur de l'idée d'un Homme "maître et possesseur de la nature", pense que depuis le XIIIème siècle, la pensée occidentale se détourne de la figure de l’Homme vers le monde des choses. Pour une science de l’Homme qui ne soit ni réductrice, ni mutilante, il propose de prendre conscience du contenu de la figure traditionnelle de l’Homme organisée autour de six caractères. La plupart sont directement liés à nos réflexions sur la naturalité :
- l’Homme traditionnel se conçoit comme faisant partie du cosmos, il entretient des sympathies avec tous les êtres, animal, végétal, minéral, astral ;
- La connaissance de l’Homme est une, l'Homme traditionnel a une conception unitaire du cosmos au contraire du savoir occidental moderne qui se fragmente et qui éloigne l’Homme d’une vision cohérente de lui même.
- L’affirmation de la pluralité du Moi : l’unité symbolique du monde se réverbère dans un moi ressenti comme divers à l’inverse du « cogito » cartésien de l’Homme moderne.
- La pensée traditionnelle « leste » les choses d’un sens, de qualités cachées, que seule une pensée indirecte, symbolique, peut révéler ;
- L’Homme traditionnel est un Homme apaisé. Son éthique s’inscrit en terme d’épanouissement de la vie et non en termes de volonté de puissance ;
- La vie, pour l’Homme traditionnel, est conçue comme un retour à sa vraie demeure, une "quête du Graal" ou de la "Terre promise". Le « chacun pour soi » de l’Homme occidental moderne le coupe des autres, du monde, mais aussi de toute raison qui l’excède, de toute transcendance, il est comme en exil dans sa solitude.
Comprendre le moteur de notre conscience : le symbole
Seconde condition pour cesser de nier la globalité humaine : la pleine reconnaissance des pouvoirs de l’imagination créatrice. C’est le symbole, c’est à dire le processus général de la pensée à la fois indirecte et concrète qui constitue la donnée première de la conscience humaine. Sa prise de conscience ne peut qu’être décisive pour l’équilibre biologique et psychosocial de l’humain.
Quelles résonnances avec nos questions sur la naturalité ?
Symbole ? Imaginaire ? Bien d'avantage que Prométhée ou Dionysos, c’est la figure d’Hermès qui devrait s’imposer à notre temps. Dieu des carrefours et du commerce, Hermès est surtout la divinité des « bornes ». Le nouveau mythe de notre temps devrait être celui du lien entre les différences, de la médiation entre prochain et lointain, celui des bornes, des limites qui définissent seules rencontres et carrefours.
La naturalité : un changement de "mythe directeur" ?
C’est une rupture, un changement d’imaginaire qui est ici souhaitable dans les rapports que notre société entretient avec la nature. Ce souhait est-il en voie de réalisation avec la "naturalité" ? Gilbert Durand qui évoque l’existence de « mythes directeurs d’une société » a justement travaillé à la description des utilisations sociales de l’imaginaire. Notre civilisation est encore trop occupée à s’affronter aux écosystèmes plutôt qu’à s’y accorder. Hermès est encore trop timide chez nos semblables et peut-être aussi en chacun de nous… le savent-ils et le savons nous ? Des individus à la société, oseront-ils et oserons nous l’avouer et en tirer des conséquences constructives voire radicales pour en finir réellement avec la mutilation omnipotente de la maîtrise et de la possession cartésienne qui aboutit à effacer à la fois l'homme et la nature sous nos yeux ?
(1) Loin de tout "bon vieux temps" conservateur, il s'agit ici de ce qui est permanence chez l'humain, l'Homo Sapiens n'ayant pas réellement évolué depuis son origine terrestre.
Références :
Durand G. 1975. Sciences de l’homme et tradition. Le nouvel esprit anthropologique. Paris, Albin Michel, 242 pages.
Durand G. 1960. Les Structures anthropologiques de l'imaginaire. Paris, Dunod.
Sironeau J.P. 1980 Hermès ou la pensée du retour, article publié dans La galaxie de l'Imaginaire, dérive autour de l'oeuvre de Gilbert Durand, Paris, Berg International.
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Photo : P.P, une forêt de montagne à haut degré de naturalité, massif fréquenté par l'ours dans les Pyrénées ariégeoises.
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